Le marché aux voleurs de Jean Montaldo

février 2003

L’éclatement de la bulle spéculative des TMT et la ruine de petits actionnaires ; la quasi-faillite de FT, Alcatel ou Vivendi, et le rôle qui y ont joué leurs patrons ; l’aveuglement des analystes et des auditeurs et la complaisance des régulateurs et des juges : tout était réuni pour faire un grand livre. L’actualité avait été bonne fille. Montaldo aurait pu donc faire œuvre utile. Mais tel ne fut pas son projet. A l’enquête patiente, à l’analyse ingrate, l’auteur a préfèré les imprécations, les mises en scène, les dénonciations théâtrales. A la diversité des hommes, des situations, il oppose un « tous voleurs » les patrons cupides comme l’Etat prodigue, les surfeurs d’internet comme les aristocrates d’Etat. A la complexité d’une économie de plus en plus immatérielle, mondialisée et financiarisée, il entend opposer le bon sens simple en noir et blanc des honnêtes gens Un dossier illustre ce biais systématique : Vivendi.

Montaldo consacre 4 chapitres pour conter la saga de Messier. Le lecteur appâté accourt, il va enfin comprendre pourquoi le titre a perdu les 9/10° de sa valeur, pourquoi Messier s’est engagé dans la stratégie de la « convergence », pourquoi VU n’a jamais été capable d’évaluer correctement le risque financier du groupe, pourquoi au cours de sa dernière année d’exercice Messier a fait tant d’acquisitions périphériques, pourquoi les administrateurs n’ont rien vu, rien empêché. Mais le lecteur ne saura rien, Montaldo consacre l’essentiel de son enquête et de sa démonstration à deux sujets : les stocks options du Président et les aménagements pharaoniques de l’Airbus privé. Et même en prenant au sérieux ce que l’auteur avance sur les stocks options, à savoir que Messier en a levé un paquet fin 2001 à 50€ et qu’il s’est endetté pour le faire, le fait que Messier ait conservé ces actions et qu’elles valent aujourd’hui 14€ n’est pas une preuve évidente de la capacité de Messier à manipuler les cours pour son plus grand profit personnel. La dénonciation incantatoire de la furie d’acquisitions de J.M.Messier empêche même l’auteur de faire la différence entre achats vertueux et ruineux : l’achat de Seagram avec des actions Vivendi alors au plus haut a permis à Messier de troquer du papier contre les actifs tangibles de Universal dans le cinema la musique et l’audiovisuel. Les opérations Houghton Mifflin ou Maroc Telecom, à l’inverse ont été payées en cash, au plus haut alors que la situation de VU était déjà tendue et sans bénéfices réels pour les activités du groupe.

Mais qu’importe ces détails Montaldo nous le dit, il dispose d’un scoop, qu’il publie en annexe, le memorandum Hannezo destiné à J.R.Fourtou, saisi par la COB et depuis diffusé dans tout Paris. Cette note, pour un esprit curieux est d’une grande richesse, elle montre comment le groupe sans changer ses habitudes s’est fragilisé, comment il s’est lui même piégé, victime de sa complexité grandissante, comment ses finances lui ont échappé car trop dépendantes de l’état des marchés et du jugement des agences de notation. Mais Montaldo paraphrase et se réfugie derrière les épaules de J.R.Fourtou pour dire que décidément tout ceci est incompréhensible.

Après avoir épuisé le cas VU, Montaldo se tourne vers de « moindres » dossiers : Le Crédit Foncier, France Telecom ou Libertysurf. A l’en croire le pire aurait été commis au Foncier, une véritable histoire de frères Rapetou où l’Etat, sous ses différentes formes aurait de propos délibéré décidé de faire main basse sur le Foncier pour assouvir ses intarissables besoins financiers avec à la manœuvre un haut fonctionnaire socialiste Jean Pascal Beauffret. L’histoire est pourtant moins flamboyante. Dans les années 80, le Foncier entreprend de diversifier ses activités dans le crédit immobilier non-aidé, le crédit bail immobilier et le crédit aux promoteurs. Les perspectives de libéralisation, de déspécialisation et de débonification incitent les institutions financières spécialisées de se trouver un nouvel avenir. Le Foncier, tout à sa diversification, est pris à rebours par le dégonflement de la bulle immobilière puis par le retournement économique majeur de 92/93. L’entreprise assiste à une explosion de mauvais risques avec dans ses comptes des biens surévalués et des prêts irrecouvrables . Au même moment, ce que craignait le Foncier et pour lequel il s’était diversifié survient : l’Etat met un terme au monopole du Foncier dans la distribution des PAP. L’entreprise, qui est côtée, subit un coup de torchon boursier : les acteurs de la place ne croient plus à son avenir. La peur de la liquidation pure et simple mobilise les syndicats. L’Etat recule et fait reprendre le Foncier par la Caisse des Dépôts : c’est une nationalisation des pertes. J.P.Beauffret installé comme sous-gouverneur de 94 à 96 va œuvrer pour redresser le Foncier. Parce que nommé par les socialistes, il est traité par Montaldo de noms d’oiseau et tenu pour responsable du mauvais coup orchestré par l’Etat contre les boursicoteurs au premier rang desquels il faut mentionner Mr Montaldo lui même.

Du reste, l’aversion pour les socialistes chez Montaldo tient de l’idée fixe, de la passion morbide, elle le conduit à des explications surréalistes de la quasi-faillite de FT. A l’en croire c’est la décision des socialistes de faire payer les licences UMTS à FT qui serait la source de tous les malheurs. On reste sans voix devant une telle ignorance. 1/FT n’a payé que le 1/8° du montant initialement prévu soit 0,6 milliard€. 2/FT a de son propre chef poussé les feux de la spéculation sur les licences UMTS au Royaume Uni (7Milliard€) et en Allemagne (8,4Milliard€). 3/Ayant acquis Orange, FT ne va même pas céder NTL ce qui se soldera par une perte additionnelle de 8,5 Milliards d’Euros. Emporté par sa passion Montaldo en rajoute : FT aurait été victime de l’Etat socialiste en n’étant pas autorisée à payer Orange en titres pour préserver le contrôle majoritaire de l’Etat sur FT mais quelques lignes plus loin il reproche à Michel Bon d’avoir racheté les 40% d’actions FT détenues par Vodafone, fournissant ainsi la preuve absolue de l’inanité de sa thèse : Vodafone pour céder Orange ne voulait que du cash immédiat ou différé.

Dans son parcours boursier, Montaldo, va avoir la main heureuse sur un dossier : Kalisto. Le chapitre consacré à Nicolas Gaume, petit prince des jeux électroniques, faux prophète et vrai truqueur de comptes, est à la fois informatif, drôle et instructif. A la différence de tous les autres dossiers évoqués, Montaldo apporte des informations originales, il démonte la fabrication frauduleuse des comptes, les commandes inventées, les manipulations de cours. L’hommage qui lui est rendu par un Ministre est digne des précieuses ridicules. En même temps l’enthousiasme pour les nouvelles technologies était tel, à cette époque, que les précautions les plus élémentaires n’ont pas été prises s’agissant des valeurs dites internet.

Après avoir instruit le procès des patrons , Montaldo s’attaque aux banquiers, analystes, magistrats, et régulateurs. Tout ce monde a failli à ses yeux. Tous se sont entendus comme larrons en foire pour ruiner le petit actionnaire. La charge contre les analystes financiers est salutaire. La publication de la collection de leurs « analyses » avec leurs recommandations d’achat, leurs top picks, leurs strong buy est même divertissante. L’ignorance que révèlent nombre de ces études des secteurs industriels étudiés est abyssale mais les questions que soulève la pratique des analystes ne sont n’est qu’effleurées : faut-il attribuer les sottises publiées au fait que les analystes servent des maîtres puissants ou au fait qu’ils font ce qu’ils peuvent dans le temps dont ils disposent dans un monde tourbillonnant. S’agissant des banquiers d’affaires : ils cherchent à faire des affaires certes, ils instillent des modes stratégiques avec les consultants certes, ils facturent des montants indécents certes, ils se servent des analystes comme vecteurs commerciaux certes, mais qui oblige les patrons à les suivre (Mestrallet n’a pas suivi les conseils visant a transformer Suez en Enron). Quelles conséquences tirer de ces pratiques ? Ce n’est pas l’objet du livre , mais on aimerait savoir ce que pense Montaldo : sont ce les hommes, leurs faiblesses, leur cupidité qui sont en cause ou les politiques d’innovation et de déréglementation financière. Quant à la COB, l’auteur a raison de dire qu’elle n’a rien vu, rien empêché, mais est-ce son rôle d’interdire l’accès au marché et pourquoi tourner en dérision ses « avertissements » ?.

A la vérité la crise est plus grave que ne le laisseraient penser les pseudo-révélations de Montaldo. Les affaires Enron et Worldcom ont certes montré que la cupidité, la malhonnêteté étaient de ce monde, elles ont surtout montré que les systèmes légaux, les instances de régulation et de contrôle, et les juridictions en place n’avaient rien empêché. Pire, des innovations financières comme les stocks options ont donné des ailes à la cupidité et ont parfois nuit au fonctionnement des entreprises. Les affaires FT, Vivendi nous ont rappelé qu’il n’est pas facile de réduire l’inégale information entre contrôleurs et contrôlés. Lorsque de surcroît le contrôle est mixte, l’impunité des dirigeants est maximale. Enfin les affaires Kalisto et Libertysurf illustrent une fois de plus cette thèse, souvent vérifiée, sur les révolutions technologiques : on en surestime toujours les effets a court terme, on en sous-estime toujours les effets à long terme. Ce livre, terriblement manichéen n’apprendra rien à ceux qui veulent comprendre l’actuelle crise de confiance . Au fond, le seul sujet du livre est l’auteur : Montaldo en Rouletabille faisant les poubelles de la BCEN, Montaldo défiant le ministre des finances en prenant 0,5% du Crédit Foncier, Montaldo ressassant les turpitudes de Mitterrand et des 40 voleurs, Montaldo en redresseur de torts solitaire crucifiant J.P.Beauffret, canonisant la « Jeanne d’Arc » des petits actionnaires, Mme Colette Neuville, ou décrivant avec une Kolossale finesse, Besnainou de Libertysurf, en héros gominé de « la vérité si je mens ». Tout à son autoglorification, Montaldo a oublié de faire le travail d’enquête, d’analyse et de synthèse qui aurait pu éclairer le lecteur.


Voir en ligne : Le Point