Entretien à Epargne et Finance

août 2001

Le mouvement de concentration bancaire va-t-il se poursuivre en France ?
Elie Cohen  : Il y a de puissants moteurs qui poussent le mouvement de concentration : la mondialisation, la déréglementation et la privatisation, l’intégration européenne et l’avènement de l’Euro. Pour nous, Français, le simple prise de conscience du fait qu’un acteur réputé puissant comme BNP-Paribas pèse moins de 2% du marché domestique européen de la banque de détail est un appel à l’action. Notre secteur bancaire reste fragmenté au regard du marché domestique européen, du reste les restructurations sont plus avancées dans d’autres pays que dans le nôtre. Il existe aujourd’hui de puissantes banques en Allemagne ou en Espagne... La prochaine vague de concentration verra donc la consolidation intervenir au niveau européen.
La mondialisation des firmes françaises et européennes oblige les acteurs financiers à se rassembler, d’autant que la déréglementation et la déspécialisation créent une pression supplémentaire.
Enfin l’apparition de supermarchés financiers, l’arrivée des acteurs de la distribution dans les métiers du crédit, la migration des assureurs vers tous les métiers de l’épargne concourent à cette double bataille de la taille et des parts de marché.

La bancassurance est-elle la clé d’un développement à l’échelle européenne ?
EC  : Une lecture superficielle conduirait à dire que le modèle de bancassurance du type Allianz-Dredsner serait en train de triompher. Je n’y crois pas dans la mesure où il n’existe pas de convergence totale entre les métiers de banque et d’assurance. Pour l’exemple cité, il s’agit d’un arbitrage opportun de portefeuille et d’une optimisation fiscale. Allianz détenait de nombreuses participations qu’elle a pu revendre, en franchise d’impôt, en utilisant une nouvelle réglementation. Elle a financé la reprise de Dredsner par les économies d’impôt ainsi réalisées.
Cette gestion n’est pas synonyme d’une logique de bancassurance. Il existe des recoupements entre les deux activités, notamment pour les produits vie. Mais le métier de l’assurance est bien plus vaste et la banque n’a aucun avantage comparatif à vouloir faire, par exemple, de l’IARD. Nous assistons aujourd’hui à une logique beaucoup plus forte qui se traduit par une industrialisation des services financiers : il faut bien faire la différence entre la production et la distribution. Or, une entreprise n’est pas qualifiée pour tout fabriquer : elle doit identifier ce qui est son cœur de métier et adapter sa stratégie. En clair, ce qu’elle doit contrôler en propre, faire en partenariat ou encore sous-traiter. Dans le cas d’une banque de détail, élargir sa gamme en distribuant des produits d’assurance dommage est une option intéressante ; en revanche, vouloir contrôler leur production et la gestion des sinistres relève du métier d’assureur.

La grande distribution a-t-elle une place dans cette logique ?
Elie Cohen  : Oui, mais dans un rôle limité à celui de distributeur de produits financiers ou d’assurance simples, standardisés et peu coûteux.
Les banques qui détiennent les usines de production peuvent trouver de nouveaux débouchés, de nouveaux canaux de distribution.
D’autant que cela n’épuisera jamais la diversité des types de clientèles et de leurs demandes. Une banque de détail devra fonder son développement sur le conseil, la personnalisation du service et de l’offre, rendues possibles par une bonne connaissance de la clientèle. Le modèle d’avenir est un modèle industriel où l’on est capable de contrôler son amont, de proposer une offre personnalisée au client final et d’opérer une gestion de masse. Dans un tel modèle les produits issus des ateliers de conception de la banque peuvent être vendus via d’autres réseaux de distribution.

La banque française a longtemps été contrôlée par l’Etat. Comment a évolué le paysage ?
Elie Cohen  : En 25 ans, la France a fait sa révolution copernicienne : avant, les prix, les changes, les taux, les crédits, les emplois financiers, beaucoup d’entreprises... étaient contrôlés par l’Etat. Le paysage est aujourd’hui méconnaissable.
En même temps la reconfiguration du secteur financier se pose encore en des termes spécifiques, issus du poids historique de l’Etat en France. On ne comprend rien à la découverte douloureuse par les élites françaises du poids des fonds de pension anglo-américains à Paris si on oublie l’épisode des nationalisations-privatisations de 82-86. A l’issue de la bataille qui a opposé la Société générale, BNP et Paribas, on s’est aperçu par ailleurs que ni les régulateurs publics, ni la volonté d’acteurs hexagonaux n’avaient pu imposer une solution nationale.
Si l’on veut maintenir un secteur bancaire et financier français important à terme, il faudra faire jouer la carte du secteur mutualiste. Pour une fois faisons de nos contraintes institutionnelles un atout : on voit bien qu’avec la CDC Ixis, la CNCE, la CNP et la Poste il y a tous les éléments d’un puzzle qui correctement assemblé peut doter la France d’un acteur financier puissant , échappant à la « dictature » des fonds de pension .
L’Alliance Caisse des dépôts - Caisse d’Epargne, première étape pour la constitution d’un groupe financier mixte mutualiste-public est un pas dans la bonne direction. En intégrant la banque de détail et les usines de production nécessaires à son activité, l’Alliance constitue d’ores et déjà le troisième grand pôle financier en France. Mais que les choses soient claires, il n’y a pas d’avenir pour un pôle financier concurrentiel public. L’Alliance est sur le marché, sa spécificité réside dans son actionnariat dans l’usage qui est fait de ses résultats elle n’est pas dans l’objectif poursuivi qui est la rentabilité. C’est ainsi que notre secteur bancaire doit jouer une de ses dernières cartes pour sortir mieux armé et s’inscrire dans une logique européenne.

Le chiffre :
BNP-Paribas, deuxième banque française, représente 7 % de la banque de détail dans l’Hexagone mais... un petit 1,5 % au niveau européen...


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