Régulation : la leçon californienne

mai 2001

Que se passe t il donc en Californie ? Comment expliquer le rationnement, la nationalisation, le contrôle des prix dans ce qui est l’épicentre du capitalisme high-tech ? Comment surtout expliquer que le monopole de service public à la française fasse tellement mieux ? La comparaison est en fait trompeuse.

Dans le cas californien il s’agit moins de l’échec de la déréglementation que de l’inadaptation d’un dispositif de régulation lourd et contradictoire dans un contexte de croissance explosive et non anticipée de la consommation. Dans le cas français c’est moins des mérites du service public qu’il s’agit que des effets d’une libéralisation très progressive dans un contexte de surcapacité de l’Offre. Mais qu’importe, la stigmatisation de l’exemple californien permet de vanter les mérites du système français. Il faut donc expliquer ce qui se passe en Californie et expliciter les enjeux pour la France de la politique de libéralisation de l’électricité.

Face à une croissance forte et continue de la demande au cours des 10 dernières années, la sous-capacité du système électrique s’est révélée décisive. Une telle croissance des besoins, même non anticipée, aurait pu être satisfaite si la Californie avait pu étendre rapidement ses capacités de production ou importer le courant des Etats voisins. Or, les délais légaux pour étendre les capacités sont particulièrement longs en Californie à cause des réglementations environnementalistes et du poids des lobbies écologistes.

L’interconnexion aux réseaux des autres Etats aurait pu faciliter la transition, mais là aussi les réseaux de transport étaient sous dimensionnés et l’extension des réseaux posait le même problème écologique. La « déréglementation » n’aurait elle eu alors aucun effet ? C’est en fait une « réglementation » mal conçue parce qu’elle rend inopérants les signaux de prix qui va précipiter l’effondrement du système. Les distributeurs californiens pris en tenaille entre les producteurs dont les prix étraient libres et les consommateurs dont les prix étaient gelés ont eté poussés à la faillite par le régulateur. En effet, les producteurs dont les coûts ont fortement augmenté du fait de la hausse très rapide du prix du gaz ont répercuté dans leurs prix cette hausse. Comme au même moment les régulateurs californiens voulaient prouver que leur réforme aboutissait à une baisse des prix de l’électricité pour le consommateur final, ils décidèrent le gel des prix. Mais en situation de pénurie physique de courant, de surconsommation et d’absence de capacités nouvelles, le prix final pour le consommateur ne pouvait qu’augmenter, la crise était inévitable. L’erreur de conception dans le dispositif institutionnel apparaît alors manifeste : si les augmentations de prix de gros avaient été répercutées sur le consommateur final, la situation aurait conduit soit à des comportements économes en énergie, soit à une protestation contre la pénurie d’énergie. Les pouvoirs publics auraient alors dû arbitrer entre les inconvénients d’une augmentation des capacités de production et les inconvénients d’une protection trop exclusive des intérêts des lobbies environnementalistes. En ne choisissant pas une politique plutôt qu’une autre, en manipulant les prix, en cédant chaque fois à la tyrannie du court terme, les autorités politiques californiennes ont programmé la crise qui finira par les emporter.

Par rapport au scénario californien, il n’est nul besoin de grands développements pour comprendre que la France n’est en rien concernée. La France, du fait de sa politique nucléaire et de sa faible croissance au cours des dix dernières années ne connaît à court et moyen terme aucun risque de pénurie. Si EdF n’exerce plus un monopole de fait dans la production depuis la transposition de la directive électricité, le libre marché ne triomphe pas pour autant : une planification à moyen terme et un système d’appels d’offres pour la création de capacités nouvelles de production est mis en place. Si EdF affronte une concurrence dans la distribution, c’est uniquement pour les clients dits « éligibles ». S’agissant de l’interconnexion avec les réseaux des autres pays européens, elle existe depuis fort longtemps et la gestion des congestions aux frontières se fait sur la base de contrats à long, moyen et court terme.

N’y a t il alors rien à retenir de l’expérience californienne pour l’Europe ? La contradiction entre objectifs de protection de l’environnement et croissance de la consommation, et donc des émissions de carbone, devra être traitée. La contradiction entre signaux du marché et fixation politique des prix pour des raisons sociales ou écologiques est appelée à s’aggraver. Enfin les questions d’architecture institutionnelle dans un contexte de libéralisation sont fondamentales : elles ne se prêtent guère aux compromis politiques démagogiques.