Trois questions à... Elie Cohen

vendredi 18 janvier 2019

À lire sur lemonde.fr

Directeur de recherche au CNRS, vous êtes aussi membre du Conseil d’analyse économique.

Directeur de recherche au CNRS, vous êtes aussi membre du Conseil d’analyse économique. Que pensez-vous des mesures que le gouvernement français s’apprête à prendre pour protéger les entreprises stratégiques ?

C’est du pipeau absolu ! Tous les grands pays développés, les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, par exemple, disposent de mesures pour protéger leurs entreprises très sensibles. C’est leur intérêt vital. Mais pour y parvenir, ils font le contraire de ce que met en place le gouvernement français. Ils agissent au cas par cas, pour des entreprises singulières. Aux Etats-Unis, le Congrès peut ainsi empêcher la prise de contrôle d’une entreprise.

Ils ne publient pas une longue liste, de dix secteurs, qui permet d’interdire ce qu’on veut. Dans la liste française figurent les technologies duales. Mais tout est dual !

Quel investisseur sérieux va être tenté par une entreprise française dès lors qu’un régime exorbitant risque de l’empêcher de vendre un jour sa participation ?

Quelle serait donc, selon vous, la politique à mener ?

Il faudrait une clause qui permette à l’Etat d’intervenir dans des cas exceptionnels, quand des technologiques critiques sont menacées. Ou alors que l’Etat renonce aux privatisations. Comment peut-on privatiser et priver les actionnaires de leurs droits ?

Le gouvernement s’apprête à vendre EDF. Est-ce une entreprise stratégique ? Ces mesures introduisent la suspicion avant même le début des tournées de présentation de l’entreprise aux investisseurs potentiels dans le monde.

Vouloir s’opposer à l’éventuelle prise de participation d’un investisseur étranger dans Eramet est aussi absurde. Si le nickel est stratégique, alors tout est stratégique ! Si la vraie raison est de protéger notre mini-empire, ce ne doit pas être fait aux frais des actionnaires. On ne peut à la fois vouloir transformer l’économie française en une économie de marché régulée et fixer les règles du jeu.

Votre avis est-il différent lorsque les actionnaires eux-mêmes appellent l’Etat à la rescousse, dans le cadre d’OPA hostile par exemple ?

Pas du tout. Toute cette affaire est partie de Danone, qui est une entreprise dotée d’une très bonne stratégie, très bien gérée, mais qui ne s’est pas dotée d’une structure actionnariale capable de valoriser cette stratégie sur le long terme. Ce n’est pas à l’Etat de le faire. C’est à l’entreprise de s’entourer d’investisseurs professionnels qui l’aideront à dégager de bons résultats et donc à se protéger en se valorisant.