Suez-GdF : L’anti-pédagogie au pouvoir

jeudi 14 septembre 2006

Peu de fusions s’imposent avec une évidence économique aussi manifeste que celle de Suez et de Gdf. Le contexte energétque, les impasses stratégiques de Suez comme de GdF, les besoins d’investissement pour assurer la sécurité d’approvisionnement : tout milite pour une fusion de ces deux entreprises. Et pourtant, rarement le débat politique aura été aussi vif, les stratégies alternatives autant débattues et l’issue plus incertaine.

La fusion permet d’abord de faire de deux poids moyens un poids lourd multiénergeticien en Europe et un leader mondial du Gaz Naturel Liquéfié.
Dans un contexte énergétique marqué par l’envolée des prix du gaz, la montée de la Russie et son rapprochement avec l’Algérie, l’importance des investissements à réaliser, Gaz de France qui n’est qu’un acteur de poids moyen dans le gaz et Suez qui est un électricien moyen et un petit gazier n’ont pas la taille critique. En les fusionnant, on crée un acteur multi-énergeticien qui a plus grand pouvoir de négociation et qui devient leader mondial du gaz naturel liquéfié. De plus, cette fusion se fait par échange de titres et non en cash, elle consolide une stratégie crédible, elle assure les ressources du développement grâce à la disponibilité de réserves financières inentamées.

En l’absence d’une fusion, l’un et l’autre groupe auraient du renforcer leur offre électrique pour l’un, gazière pour l’autre, en faisant des acquisitions pour jouer pleinement leur partition dans une Europe de l’énergie totalement libéralisée à compter de Juillet 2007. Dans le cas de GdF, et comme l’a montré le précédent EdF, l’Etat aurait été obligé d’ouvrir d’avantage le capital de Gdf pour lui permettre de trouver des financements sur le marché. En clair les chances de survie comme acteurs indépendants de Suez et gdf étaient minces dans une Europe de l’énergie en pleine recomposition avec des acteurs qui ne cessent de se concentrer, D’autant que Gazprom avec ses 300 milliards d’euros de capitalisation boursière a fait part de son souhait de se développer dans la distribution en Europe Occidentale.

De plus, dans un contexte de libéralisation européenne cette fusion permet de créer un concurrent crédible à EDF. L’écrasante domination d’EDF sur le marché français est mal vue par Bruxelles qui, du coup, limite les tentatives de développement d’EDF en Europe. Deux ensembles de poids comparable EdF d’un côté assis sur son massif nucléaire , Gdf-Suez de l’autre fort de ces atouts dans l’hydraulique et le gaz sont des concurrents plus vraisemblables qu’un hypothétique ensemble formé d’un bi-monopole national Edf-Gdf et de 7 nains. A ceux qui rêvent d’un mariage Edf-GDF, il suffit de rappeler que le prix à payer en France serait double : cession d’une partie du parc nucléaire d’Edf et cession d’une partie des infrastructures gazières de Gdf dans le stockage, le transport et la distribution.

Et pourtant tel qu’il s’est engagé à l’Assemblée Nationale, le débat sur la privatisation de GdF restera sans doute dans l’histoire comme un monument d’antipédagogie.
Il fut question dans un premier temps de « patriotisme économique », la fusion Suez-Gdf devait protéger la France des assauts .... Italiens, alors que le projet se défendait pas ses propres mérites industriels. Le protectionnisme le plus plat se lovait dans le drapé de Marianne.

La menace d’Enel s’éloignant, le projet changeait de nature, en mêlant dans une même loi, transposition de la directive libéralisation de l’énergie de l’UE et privatisation de Gdf, on entendait accréditer l’idée que la fusion devait contribuer à la « sécurité d’approvisionnement » de la France. Mais ce faisant on liait libéralisation, prix de l’énergie et privatisation de Gdf. La confusion, les partis pris idéologiques et les procès d’intention pouvaient se déchaîner. Le Gouvernement alerté par la montée des oppositions au sein de sa propre majorité en vint alors à vouloir protéger les Français contre les effets de la libéralisation.

Par un amendement judicieusement introduit le Gouvernement a accordé un droit de remords aux entreprises qui, ayant abandonné le tarif régulé au profit des prix libres, avaient vu leur note d’électricité s’envoler. En inventant une nouvelle taxe EdF-Suez, le Gouvernement atteint un sommet dans l’antipédagogie. Cette taxe en effet est assise sur le nucléaire et l’hydraulique c’est à dire sur des énergies non émettrices de gaz à effet de serre et elle va servir à financer les énergies plus polluantes des nouveaux entrants !

Il n’en fallait pas plus pour que les mouvements de consommateurs réclament la généralisation de la mesure aux particuliers à l’occasion de la dernière phase de l’ouverture des marchés de l’énergie. En effet, les consommateurs étant irresponsables, ils doivent pouvoir revenir au tarif régulé dès que la hausse des prix rend le choix des prix libres sur un marché ouvert moins intéressant.

Comble du pragmatisme, le gouvernement en vient maintenant à défendre la privatisation de Gdf au nom des besoins internes de croissance de cette entreprise et prévient les actionnaires de Suez que s’ils se montraient trop gourmands, la fusion ne se ferait pas.

La boucle est bouclée, point n’est besoin de déposer 130000 amendements pour miner l’édifice de la fusion annoncée, il suffit de reprendre les arguments contradictoires de la puissance publique. Par habileté tactique ou pour résoudre ses contradictions internes, le gouvernement a rendu la politique énergétique illisible, la libéralisation européenne détestable, et la privatisation illégitime.


Voir en ligne : Le Nouvel économiste