Royal : demandez le programme !

jeudi 15 février 2007

Ségolène Royal avait placé la barre très haut. Après un long silence troublé par quelques déclarations approximatives, elle devait délivrer un programme articulé et exhaustif, fidèle aux orientations du PS, inspiré des débats participatifs. Autant dire une mission impossible, tant les contradictions entre ces trois orientations étaient manifestes. Pourtant, à en croire les commentateurs, elle a franchi cette redoutable épreuve avec compétence, émotion et autorité. Ségolène Royal aurait-elle gagné en un discours cette « capacité présidentielle » qui semblait lui faire défaut ? Pour en juger, il faut s’interroger sur le programme, sa réception, et son éventuelle mise en œuvre.

En dénonçant la dette insoutenable, les déficits explosifs, la perte de compétitivité, la stagnation industrielle et la panne de l’investissement, Ségolène Royal a surpris. On ne l’attendait guère sur ce registre familier aux libéraux. Pas plus qu’on ne l’attendait sur la réhabilitation de l’entreprise innovante et créatrice d’emplois, de l’entrepreneur qui risque, s’endette et donne son patrimoine personnel en gage. De la part d’une candidate qui, quelques jours plus tôt, n’avait pas de mots assez durs contre l’argent qui corrompt, avilit et qui entendait, quelques mois plus tôt, terroriser les patrons délocalisateurs, une telle conversion pouvait déboucher sur un programme appelant aux sacrifices pour le redressement. On connaît depuis Mendès-France les traits de la réforme éclairée : lucidité dans l’établissement d’un diagnostic partagé, identification des marges de manœuvre et exploration de solutions alternatives, choix politiques combinant rigueur et équité.

La chute n’en est que plus brutale à la lecture d’un programme que Laurent Fabius aurait volontiers qualifié de « statolâtre et dépensophile » et que les tenants de la social-démocratie d’ancien régime auraient qualifié d’Etat Providence du « berceau au tombeau ».

Rien n’échappe à la volonté protectrice et redistributrice de la candidate, ni la petite enfance, ni l’adolescence, ni la condition de jeune adulte, ni la vieillesse bien sûr. Dans chaque cas, pour chaque problème, une indemnité, un revenu de substitution, une garantie, une caution sont proposés. L’Etat distribue des emplois, des logements, des personnels, des subventions, des droits opposables... L’Etat impose, réquisitionne, se substitue aux élus défaillants. Cet Etat sait reconnaître ce qu’est un logement spéculatif et ce qui ne l’est pas. Cet Etat se propose même de garantir à vie le pouvoir d’achat des salariés et leur logement.

On reste interdit devant cette vision démiurgique de l’Etat, la plus extrême en Europe. Alors que la candidate nous alerte sur les bouleversements de la planète, l’irruption de nouvelles puissances, le vieillissement, le changement climatique, l’affaiblissement économique de la France, elle n’avance comme solutions que la France, son Etat ou une Europe peinte aux couleurs de la France.

Le fossé entre le diagnostic et les solutions proposées oblige à considérer que la candidate a décidé de s’affranchir des règles communes de cohérence pour adopter celles, plus classiques, des discours électoraux. Ce qui importe dans ce type d’exercice est que chaque segment de la population soit reconnu et que sa demande soit entendue. Il faut mobiliser l’attention, créer de l’empathie, bref séduire avant de convaincre. A cette aune, force est de constater que Ségolène Royal réussit le tour de force de paraître en phase avec les attentes des Français tout en reprenant les propositions du Programme socialiste.

Si la contrainte de cohérence ne s’applique pas à madame Royal, c’est que Nicolas Sarkozy joue sur le même registre. L’une comme l’autre dénoncent le décrochage français, recourent aux mêmes simplifications sur « la vie chère », désignent les mêmes boucs émissaires (les patrons voyous et la BCE) et promettent de dépenser sans limites (entre 40 et 50 milliards d’euros).

Des programmes également déconnectés des réalités économiques et financières peuvent se comprendre à partir des exigences de la politique démocratique, il n’en reste pas moins que l’électeur aimerait savoir ce que le candidat élu mettrait en œuvre comme politique.

S’agissant de Ségolène Royal, l’alternative est simple : soit le scénario 1981 : application - pause - trahison ; soit le scénario 1995 : gestion - réforme - trahison.

On se souvient que parvenu au pouvoir sur un programme de rupture avec le capitalisme en 110 propositions, François Mitterrand avait rapidement dû décréter la pause qui est devenue la parenthèse puis l’étape de montagne avec à l’arrivée la défaite et l’accusation de trahison des idéaux de la gauche. Nul doute que Ségolène Royal connaîtrait un scénario de ce type mais en accéléré si elle avait la velléité d’appliquer ses 100 propositions. Le contexte actuel est moins favorable qu’en 1981 avec une dette publique dont le poids par rapport au PIB a triplé, avec une consommation vigoureuse qui n’a pas besoin d’être stimulée, avec des comptes sociaux délabrés et des comptes extérieurs en dégradation rapide. C’est une politique de l’offre qu’il conviendrait de mettre en œuvre et non une politique de redistribution tous azimuts.

L’urgence sociale de 2007 n’est pas sans rappeler la fracture sociale de 1995. Si Ségolène Royal présidente venait à marcher dans les pas de Jacques Chirac en oubliant rapidement ses promesses par réalisme économique et si de surcroît elle mettait en oeuvre ses projets de réforme (la nouvelle régionalisation), alors le discrédit s’installerait rapidement et les accusations de trahison refleuriraient au sein même du PS.

N’y a-t-il donc le choix qu’entre deux formes d’échec ?

Ségolène Royal incarne une nouvelle génération en politique et par bien des aspects elle renouvelle le débat et les pratiques politiques. La démocratie participative, la logique des droits et des devoirs, un nouveau partage des pouvoirs entre le centre et la périphérie, une autorité décomplexée constituent autant de manifestations d’un changement d’ère. Ségolène Royal dénonce dans son discours-programme les marchands d’illusions qui cherchent à séduire les électeurs par la « magie des promesses qui n’engagent que ceux qui les reçoivent ».

On ne peut donc exclure que Ségolène Royal contribue à moderniser la politique tout en réformant à chaud le PS. A la lecture de son discours-programme on trouve nombre de traits critiques contre le vieil Etat jacobin, colbertiste, bureaucratique. Par ailleurs on sait qu’elle est séduite par les social-démocraties nordiques et qu’elle souhaite promouvoir le contrat. Mais voilà, même si on ne peut exclure qu’elle se révèle au pouvoir, on ne peut que constater à ce stade que la rhétorique du « désir d’avenir » masque mal un vieux discours fourbu. Reprendre le programme du PS jusque dans ses traits les plus caricaturaux (le pôle public de l’énergie EDF-GDF) n’est pas de bon augure. On ne s’engage pas impunément à distribuer ce qu’on n’a pas. On ne peut faire comme si la France était seule ou pire encore comme si elle dictait ses lois à l’Europe. Les programmes engagent. Lorsque les discours de protection ne sont pas suivis d’effets, ils aggravent le sentiment d’insécurité et le rejet est alors d’autant plus violent.

Elie Cohen est directeur de recherche au CNRS et membre du Conseil d’analyse économique.

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