Que reste-t-il des politiques industrielles ?

lundi 21 mai 2007

Depuis 1945, le débat sur les politiques industrielles a été particulièrement intense en trois occasions majeures. Une première fois sous le général de Gaulle lorsque deux modalités particulières de la reconstruction et du rattrapage des Etats Unis par l’Europe ont été mises en oeuvre l’une tirée par le marché et régulée par le compromis social institutionnel en Allemagne, l’autre poussée par l’Etat, la finance administrée et les entreprises publiques en France. Ce premier débat va perdre de son acuité avec la fin des 30 glorieuses et les chocs des années 70.

Avec l’émergence du Japon comme super-puissance manufacturière au début des années 80 le débat sur les politiques industrielles va connaître une nouvelle faveur tant aux Etats Unis qu’en Europe. En mettant en cause les avantages indus que procuraient au Japon une politique volontariste de conquête des marchés extérieurs et une politique de fermeture réglementaire, financière et commerciale du marché intérieur -le tout organisé par le Miti - Européens et Américains entendent à la fois protéger leurs entreprises en difficulté par des accords de restriction volontaires d’exportations (ex : automobile) et promouvoir leurs industries de pointe.

Avec la création en Europe du marché unique et de l’Euro, la décennie prodigieuse de croissance des Etats Unis, et l’effondrement japonais , la politique industrielle a paru disparaître du paysage politique. Elle fait un retour marqué depuis quelques mois en réponse aux premiers effets des délocalisations et de la montée en puissance de la Chine. A Bruxelles un intérêt nouveau se manifeste, il tient au fait que les politiques d’environnement compétitif ne suffisent pas à infléchir la spécialisation européenne vers les technologies, les métiers et les services de la société de l’information. Si la notion refait surface désigne-t-elle bien les mêmes réalités ?

A tout effort d’évaluation des politiques publiques industrielles, il y a donc un préalable, celui de la définition de la notion. En effet, si en France on réserve l’usage de la notion aux seules politiques sectorielles, celles qui ont pour effet de peser sur la spécialisation. Ailleurs la notion est plus large puisqu’on mêle, sous le même label, des politiques verticales (sectorielles) et des politiques horizontales (commerciales, technologiques ou de concurrence).

1-Qu’est ce que la politique industrielle ?

La théorie économique réserve le concept de “ politique industrielle ”, à l’action correctrice par l’État des “ faillites du marché ”. Elle réserve la notion de « politique de concurrence », à l’établissement de règles du jeu visant à empêcher la formation de positions dominantes ou de pratiques discriminantes. Elle limite l’usage du terme « de politique commerciale », à la libre circulation des produits et des services et à la réalisation d’un optimum des échanges basé sur les avantages comparatifs relatifs. Elle restreint enfin l’usage de la notion de « politique technologique » à la création d’externalités positives pour l’ensemble de l’industrie.

Ce principe de spécificité est légitime mais peu opératoire en pratique. Une connaissance même superficielle des politiques pour l’Industrie menée par tous les Gouvernements montre qu’il est fait indifféremment usage de tel ou tel instrument pour poursuivre un objectif de protection, de spécialisation ou de promotion d’une industrie. Une démarche inductive privilégiant les problèmes et leur mode de résolution pour caractériser la nature des politiques menées nous semble donc plus adéquate.

De fait, par ses politiques macro-économique et macro-sociale, ses politiques d’équipement, de défense nationale, tout État a une action indirecte sur le monde industriel. Il agit sur le cadre d’action des entreprises (action conjoncturelle, équipement et aménagement du territoire, politiques de formation et de recherche), sur leurs débouchés (commandes publiques, politique de la concurrence, exportation et protection nationale, consommation des ménages), et sur leurs conditions de production (législation sociale et droit des sociétés, financement des entreprises, fiscalité, contrôle de la concurrence et des prix ...). Pour la commodité du propos appelons ces actions indirectes : politiques d’environnement de l’entreprise.

La politique industrielle stricto sensu est une politique sectorielle, elle vise à promouvoir des secteurs qui, pour des raisons d’indépendance nationale, d’autonomie technologique, de faillite de l’initiative privée, de déclin d’activités traditionnelles, d’équilibre territorial ou politique méritent une intervention.

Selon les pays et les variétés de capitalisme, la politique sectorielle, lorsqu’elle existe, est le fait de l’État, de banques, d’investisseurs ou de collectivités locales. C’est ainsi qu’aux États-Unis le ministère de l’industrie et des hautes technologies est de fait le Ministère de la Défense. Au Japon l’Industrie a été protégée grâce à la politique commerciale, certains secteurs ont été promus grâce à des financements, des allocations de devises et le soutien des grandes maisons de commerce. En Allemagne l’aide aux entreprises passe essentiellement par les lander dans le cadre de politiques technologiques, cependant que le sauvetage des entreprises en difficulté a longtemps relevé des grandes banques.

La politique industrielle a toujours eu un statut théorique controversé. Comme réponse à des « market failures » elle a été longtemps justifiée, mais son domaine d’application a toujours été soigneusement limité. L’Etat en effet ne devait promouvoir que des politiques horizontales, toute politique verticale réveillant le soupçon d’un retour de la politique des champions nationaux. Or un constat a longtemps fait l’unanimité des analystes : l’Etat n’est ni équipé, ni qualifié, ni en situation de « choisir » les entreprises, les technologies, les secteurs les plus porteurs.

L’expérience sans cesse renouvelée des décollages économiques réussis au Japon, en Asie de l’Est et au XIXème siècle en Allemagne ou aux Etats Unis aurait du valider l’argument de la protection de « l’infant economy » : c’est bien la protection des industries nationales émergentes, le soutien ouvert des gouvernements nationaux apporté à certains secteurs qui ont favorisé les appareils industriels nationaux en formation. Mais là aussi toute une littérature a promu l’idée que le décollage japonais, pour ne prendre que cet exemple, s’était fait malgré l’intervention de l’Etat japonais et donc malgré les politiques industrielles déployées avec constance.

Plus près de nous les nouvelles théories du développement ou de la croissance endogène mettent en exergue le rôle de l’Etat dans la fourniture des infrastructures physiques, intellectuelles et institutionnelles pour le développement économique. Prétendre avec les tenants du consensus de Washington, qu’il suffit qu’une économie soit ouverte pour décoller c’est méconnaître les leçons de l’histoire. Comme le dit avec malice Joseph Stiglitz, si la Corée avait suivi les préceptes de la théorie de l’avantage comparatif, de la libéralisation des échanges et du refus de promouvoir l’émergence de champions nationaux, elle serait aujourd’hui une nation de cultivateurs de riz et non le leader mondial de l’Internet haut débit.

2- Une politiques industrielle du passé : le cas français (1945-1984)

La politique industrielle française telle qu’elle a été progressivement élaborée après-guerre n’est qu’un élément du triptyque fondateur. Les élites issues de la Résistance instaurent en effet une économie de financements administrés : la Reconstruction, l’expansion doivent procéder de l’Etat qui a une légitimité supérieure à celle du marché. Ces élites installent également l’Etat au cœur du compromis social institutionnalisé. Certes un syndicalisme de lutte des classes et un patronat patrimonial ne peuvent cogérer l’économie, l’Etat n’en est pas moins le garant d’un Etat social en expansion continue et d’une protection sociale déléguée aux partenaires sociaux.

Pour qualifier la politique industrielle menée, trois situations doivent être distinguées : lorsque l’Etat se trouve face à des acteurs industriels puissants dont il prétend définir les structures et prédéterminer les orientations ; lorsqu’il fait face à des canards boiteux politiquement et socialement déstabilisateurs ; ou lorsqu’il est confronté à une absence de tout acteur industriel dans un secteur décisif pour l’indépendance nationale, c’est alors le domaine d’élection des grands projets . Dans les trois cas, les dispositifs d’intervention sont formellement comparables : plans sectoriels, subventions ou bonifications à la modernisation, à l’investissement, à l’exportation, à la concentration etc... en pratique les effets de ces outils sont radicalement différents. Nous n’allons pas revenir en détail sur le bilan des politiques industrielles françaises de 1945 à 1984 si ce n’est pour rappeler d’une part que les seules politiques industrielles dont on peut dire qu’elles ont pesé sur la spécialisation sont en nombre limité -les politiques inspirées du colbertisme high tech- et d’autre part pour rappeler les raisons de la renonciation par l’Etat français aux politiques industrielles structurantes de l’après-guerre.

Le colbertisme high-tech est la forme historique qu’a pris l’intervention de l’Etat-nation armé du monopole de l’intérêt général dans sa relation aux industries dites de pointe de l’après guerre à 1983. Les grands projets nucléaire, spatial, pétrolier, ferroviaire, télécommunications, aéronautique civile et militaire illustrent cette modalité particulière d’intégration des politiques industrielle, technologiques, de la concurrence, et de la commande publique. Le grand projet est souvent basé sur un pari technologique. Il est porté par une Agence (CEA, CNES, C.N.E.T...). Sa réalisation passe par un transfert de résultats et une coopération organique avec l’industrie. Celle-ci n’est pleinement fructueuse que parce que l’Etat pratique le protectionnisme offensif, pré-finance le développement industriel, transfère les résultats de la recherche publique au champion national, assure les débouchés par la commande publique, permet l’amortissement des investissements par les longues séries, facilite le développement en mettant les moyens de l’Etat régalien au service du champion national public ou privé. La réussite du grand projet intervient lorsque l’Etat lance un programme d’équipement basé sur les technologies développées et que le marché international adopte les biens et services qui en sont issus. Innovation technique, naissance de nouveaux usages, protectionnisme offensif, développement d’un nouvel acteur industriel et ingénierie socio-politique sont les facteurs structurants du grand projet.

Hors les choix majeurs de l’intégration européenne et des politiques de désinflation compétitive opérés en 1983 qui rendaient plus difficiles les politiques discrétionnaires de soutien des champions nationaux, d’aide aux canards boiteux ou de protection du capital autochtone, trois types d’arguments propres aux dynamiques des secteurs aidés permettent de comprendre que le mode colbertiste d’intervention ait disparu.

–  Le premier tient aux dynamiques de sous-systèmes industriels sectoriels. La réussite du grand projet colbertiste est la première source de sa banalisation, les champions nationaux et les exploitants publics qui en sont issus ont tendance à privilégier leur insertion dans le marché international sur toute autre forme de considération.

–  Le second tient à l’épuisement historiquement constaté de cette modalité d’intervention. L’un des derniers "grand projet" identifiable est celui des Telecom puisque le plan de rattrapage date de 1974. Depuis, les plans télématique, satellite, câble sont apparus mais ils ont davantage enrichi la chronique des "white elephants" que donné naissance à des industries puissantes. Lorsque la perspective équipementière est absente (bio-technologies et océanographie) ou que l’objet scientifique se prête mal aux grandes agences technologiques (Internet, bio-technologies) ou que la perspective industrielle s’éloigne (la fusion nucléaire), il est bien difficile de trouver un avenir au modèle national du grand projet.

–  Enfin les grands projets d’origine nationale comme Ariane, Airbus ou même du TGV sont devenus européens. Certes, dans ses trois cas, l’initiateur technologique et politique a été français, mais ces projets pour réussir sont devenus européens. La question dès lors se déplace : si le colbertisme high-tech dans un seul pays n’est plus praticable, peut-il exister une puissance publique européenne qui prenne le relais ?

3- Trois esquisses d’une politique industrielle européenne

Au début des années 1980, une crise d’“ europessimisme ” gagne l’Europe. Les chocs monétaires à répétition, la crise économique larvée, le repli frileux des nations conduisent nombre d’industriels à s’interroger sur l’avenir de l’Europe. De multiples diagnostics sont établis sur les coûts de la “ non-Europe ” sur les effets du néo-protectionnisme, sur le décrochage industriel par rapport au Japon. On prend également la mesure des dysfonctionnements de la machine communautaire, des dévoiements de la règle de l’unanimité et du caractère impraticable d’une libéralisation progressive après harmonisation des normes techniques. Les politiques palliatives de repli organisées dans les secteurs en difficulté donnent alors de l’Europe une image négative : la Communauté savait liquider, elle ne savait plus construire.

L’interminable agonie de la sidérurgie, du textile ou des chantiers navals étaient accompagnés de mesures sociales et financières permettant la reconversion des sites, la formation des personnels et l’équipement des territoires. Mais, au même moment, la fragmentation de l’appareil industriel et la redondance de l’effort de recherche européen dans les technologies de l’information interdisaient tout espoir de développement significatif dans ces secteurs en pleine expansion . Cette prise de conscience de la paralysie institutionnelle et du déclin industriel de l’Europe n’auraient pas eu d’effets significatifs si au même moment la position géostratégique de l’Europe ne s’était elle aussi dégradée.

La marginalisation politique de l’Europe révélée par l’initiative stratégique du Président Reagan connue sous le nom de “guerre des étoiles”. Le dialogue commercial musclé noué entre Japonais et américains. Toutes ces initiatives avaient révélé le risque de marginalisation politique de l’Europe et le coût potentiel pour la prospérité des Européens d’une division maintenue et aggravée. Le Président Mitterrand avait alors inventé “Eureka” réponse civile à une menace dans les industries de défense.
L’Acte unique européen est le produit de ce triple mouvement. Il avait été préparé politiquement par la reconstitution du couple franco-allemand, institutionnellement par le programme des “ 300 ” directives et économiquement par diverses initiatives industrielles nées de la prise de conscience du décrochage européen . Mr Étienne Davignon avait par exemple suscité la création d’un lobby de grandes entreprises industrielles pour pousser l’Europe à se saisir des problèmes de l’appareil productif européen : compétitivité en recul, faiblesse et redondance de l’effort de recherche et développement, fragmentation du marché communautaire, obstacles réglementaires au fonctionnement du marché commun etc. Le mérite de J.Delors aura été d’avancer par ce qui était formellement le plus simple et le moins engageant, à savoir la réalisation effective d’un grand marché intérieur.

3.1. L’Acte unique : un compromis équilibré.

Le premier acte posé présente toutes les apparences d’un compromis équilibré. L’Acte unique satisfait les partisans de la libéralisation puisqu’il comporte un programme conséquent de suppression des barrières physiques, techniques et fiscales visant à rendre possible l’émergence d’un grand marché intérieur. Il comble les aspirations des partisans du renforcement des institutions communautaires par l’extension de la règle de la majorité. Il affirme solennellement la vocation politique de l’Europe en multipliant les politiques communes.

En matière économique, la voie était ainsi tracée, la relance européenne devait comporter nécessairement deux volets l’un volontariste de promotion d’une base industrielle européenne passant par des coopérations dans le domaine des hautes technologies, ce seront Esprit, Eureka, Brite, Race, Euram ..... l’autre plus institutionnel visant à favoriser la création d’un vrai marché unique, ce seront les directives visant à instituer le grand marché intérieur européen .

Le double projet de reconquête et d’ouverture supposait la conception et la mise en oeuvre juridique et financière d’un ensemble de politiques pour l’industrie, habituellement alternatives, mais que les réformateurs européens voulaient combiner. En effet autant les politiques de spécialisation industrielle, de recherche et de technologie requièrent une intervention sur le marché pour en infléchir les logiques, autant les politiques de concurrence et d’ouverture commerciale supposent des interventions qui facilitent les logiques de marché.

Le bilan que l’on peut établir illustre une fois de plus la capacité de l’Europe à réussir l’intégration négative en menant à bien des politiques de libéralisation, déréglementation et privatisation plus qu’à réussir des politiques actives de spécialisation ou même de promotion de la base industrielle et scientifique européenne.
En effet, il existe bien un déséquilibre fort entre d’une part des politiques portées par le marché et régulées par le droit comme les politiques de concurrence, de concentration, de commerce extérieur, qui, si elles requièrent au départ une initiative politique forte, passent ensuite sous pilotage quasi-automatique et d’autre part des politiques industrielles et technologiques volontaristes qui nécessitent également une attention politique continue, mais sont susceptibles de remises en cause à chaque retournement conjoncturel, et qui donc, dans la durée, ont toutes les chances d’être remises en cause.
Directive après directive l’objectif 1993 inscrit dans l’Acte Unique a été mis en oeuvre, les obstacles non-tarifaires aux échanges ont été supprimés, Force est de constater pourtant qu’en matière de coopération technologique ou industrielle, l’Europe n’a pas avancé du même pas. Un déséquilibre net a fini par s’installer entre politiques de marché et politiques de promotion de la base industrielle .

3.2. .... La consécration-prohibition de la politique industrielle
Avec la signature du Traité de Maastricht, on croit un moment, notamment en France, que le colbertisme high tech peut être exporté puisqu’un chapitre est consacré à la politique industrielle et que les Européens avec le projet Eureka 95 de TV HD paraissent se rapprocher d’une vision française de la politique industrielle. Le projet Eureka 95 comporte en effet de multiples volets : un volet normatif avec l’adoption d’une norme européenne de TVHD,un volet industriel avec l’aide apportée aux champions européens pour la mise au point des nouveaux équipements, un volet culturel avec l’adoption de dispositifs d’aide à la création, un volet diffusion avec l’encouragement financier à la fabrication et à la diffusion de programmes dans la nouvelle norme. L’illusion ne durera même pas le temps de l’adoption du traité.

De fait avec l’acte unique et dans la perspective de l’Euro, l’Europe s’est convertie aux politiques horizontales de compétitivité. Les programmes initiés à l’ère Davignon qui devaient contribuer à structurer l’offre européenne dans les nouvelles technologies ont vu leurs ambitions réduites à la coopération en matière de recherche et à la formation d’une communauté scientifique européenne avant d’être capturés par les tenants de la redistribution au profit des pays les moins développés et des entreprises les moins dotées (P.M.E.). La Communauté n’a pas été à la hauteur de l’enjeu, prisonnière qu’elle était des règles de concurrence, du troc mutuel d’avantages et de considérations de cohésion et d’aménagement du territoire. Dans les rares domaines où l’Europe industrielle a réalisé des avancées, la Communauté a été absente : Airbus, Ariane, GSM.... Dans les programmes coopératifs comme Eurêka, l’intergouvernemental a mieux réussi dans un premier temps même si ce dispositif original de labellisation et de soutien de projets à vocation industrielle a ensuite été victime des politiques de maîtrise budgétaire. Cet exemple montre qu’une politique reconnue nécessaire par toutes les parties, dont l’approche (bottom up) a été saluée par l’ensemble des acteurs, qui compte à son actif des réussites incontestables (Jessi) est aujourd’hui abandonnée de fait car l’Allemagne s’en désintéresse, car l’accent mis sur les P.M.E. n’abolit pas les difficultés nées de l’hétérogénéité des régimes juridiques des pays membres de la Communauté car l’élargissement programmé en fait une politique moins centrale.
3.3. Les stratégies horizontales mises en échec

Les stratégies horizontales au premier rang desquelles il faut mentionner les politiques macro-économiques de désinflation compétitive et les politiques de promotion de la concurrence dans le cadre du marché unique n’ont pas davantage eu les effets escomptés en termes de spécialisation industrielle.

Que conclure ? Si les deux moteurs de l’intégration positive par les politiques structurantes de R&D puis par la volonté de promouvoir une e-Europe et de l’intégration négative par les politiques de déréglementation - libéralisation - privatisation sont activés dès 1982-85, force est de constater que les politiques de concurrence se sont progressivement autonomisées, elles se sont même affirmées comme les politiques dominantes. A cela plusieurs raisons. Construire un marché intégré, abolir les frontières, traquer les obstacles de toutes natures à l’ouverture constitue bien la mission fondamentale assignée à la Commission par le Traité de Rome. De ce point de vue, on peut dire que la politique de la Concurrence a un statut quasi-constitutionnel. Par ailleurs en poursuivant les ententes, les abus de positions dominantes, en libéralisant les secteurs protégés, la Commission défend les intérêts du consommateur tout en adaptant à l’espace communautaire le mouvement mondial de libéralisation des économies. Enfin le projet politique européen a toujours été servi par l’intégration économique et dès lors la construction européenne est le vecteur de la réforme des économies domestiques. Le problème que pose cette technique d’intégration est d’un autre ordre : en privilégiant l’intégration négative par la norme et la règle ne se prive t on pas des souplesses nécessaires et ne perd-on pas en faculté d’adaptation. ? Lorsqu’on compare les politiques de la concentration et de la concurrence il est clair que l’Europe est plus rigoureuse que les Etats Unis ce qui vient renforcer encore davantage les logiques de marché au détriment des politiques volontaristes. En 1989 sous présidence française une disposition a été prise en matière de contrôle des concentrations qui avec le temps a abouti à faire de la Commission l’acteur majeur des concentrations européennes. En effet, le refus des opérations Tetra-Sidel, Legrand-Schneider, Volvo-Scania, GE-Honeywell après l’acte fondateur qu’avait représenté l’affaire de Haviland illustre la doctrine qui s’est progressivement formée.

1/La Commission, dans sa définition du marché pertinent a tendance à choisir le marché national comme marché de référence et à définir l’activité économique concernée en termes restrictifs. C’est ainsi qu’elle refuse l’alliance Scania Volvo en mettant en avant des parts de marché excessives sur les marchés nordiques et non sur le marché domestique européen.

2/ La commission utilise les politiques de concentration comme arme concurrentielle. Elle estime « a priori » les effets potentiellement anti-concurrentiels d’une concentration à la différence des Etats Unis.

3/ La Commission refuse toute considération de politique industrielle et reste insensible à l’idée d’un intérêt public européen au nom de la défense du consommateur. Le fait par exemple que l’échec de la fusion Schneider-Legrand prive l’Europe d’un leader dans la moyenne et basse tension et livre les deux firmes à des acquéreurs extra européens n’est pas pris en compte.

4- La Nouvelle Politique Industrielle française

C’est en 2004 que s’opère en France une triple prise de conscience source d’in nouveau consensus favorable à des politiques industrielles actives.

D’une part, la destruction accélérée d’emplois industriels fait naître des inquiétudes quant à l’impact des délocalisations.

D’autre part, la rigueur des autorités européennes de la concurrence dans un contexte de difficultés économiques aigues d’un champion national aiguise les tensions : les procédures engagées contre Alstom au moment où l’entreprise se bat pour sa survie creusent le fossé d’incompréhension entre Paris et Bruxelles.

Enfin, les élites politiques françaises ont commencé à réaliser les insuffisances des politiques du capital humain, le décrochage scientifique et la faible croissance des PME innovantes.

Pôles de compétitivité, Agence d’innovation industrielle, Agence Nationale de la Recherche, Oseo-Anvar-BDPME, RTRA ... en quelques mois, la France inverse le cours de son action et met un terme au désengagement politique en matière industrielle. Au démantèlement de l’appareil d’intervention bâti après guerre commencé en 1983 succède une véritable réinvention de la politique industrielle. Après avoir méconnu pendant près d’une décennie le problème du décrochage industriel français, de l’affaiblissement de sa capacité d’innovation et de la baisse du rayonnement de la science française, les élites politiques deviennent actives et de peur de mal faire elles adoptent des propositions potentiellement contradictoires. De plus la France, ce pays longtemps dépeint comme centralisateur et colbertiste avec l’appel à projets lancé dans le cadre du programme « pôles de compétitivité » a suscité une forte mobilisation locale : élus et universitaires ont bâti quelques centaines de projets, ils aspirent tous au label « pôle de compétitivité ». Essayons donc de comprendre les logiques à l’œuvre dans le maquis d’initiatives contradictoires ?

La notion de pôle de compétitivité renvoie à une logique territoriale, il s’agit d’organiser la coopération de chercheurs d’industriels et de formateurs déjà là, pour mettre en valeur des compétences déjà là. Cette idée de systèmes productifs locaux qu’il s’agit de mettre en synergie a été portée par la Datar et par Christian Blanc.

La logique des grands projets innovateurs est sectorielle, il s’agit de remettre l’ouvrage sur le métier, de repenser la spécialisation en lançant quelques grands chantiers d’innovation technologique. Cette idée a été promue par J.L. Beffa, elle relève de ce que j’avais nommé en son temps le « colbertisme high tech ».

La création d’une Agence Nationale de la recherche obéit à une logique, institutionnelle, : susciter de nouveaux développements scientifiques, décloisonner les structures, privilégier l’excellence grâce à une politique d’incitations, d’évaluation par les pairs et de financements sur projets. Cette idée que nous avons défendue avec Ph.Aghion suppose que l’on fasse le pari d’une démarche « bottom-up ».

L’initiative Oseo obéit à une quatrième logique d’écologie des entreprises : comment remédier à la mortalité et à l’absence de croissance des entreprises émergentes ? On sait depuis les travaux de Scarpetta que la création d’entreprises est aussi dynamique aux Etats Unis qu’en Europe, par contre les taux de survie et les rythmes de croissance divergent fortement. D’où les idées avancées dans nombre de rapports sur la transposition du modèle de la Small Business Administration et mises en œuvre par J.P.Denis avec Oseo.

Enfin l’initiative des PRES et des RTRA obéit à une dernière logique d’économie de la connaissance. Les piètres performances des universités françaises selon le classement réalisé par l’Université de Shanghai, les impasses du modèle français de stricte séparation des universités de masse et des écoles d’excellence ont conduit à une prise de conscience tardive mais réelle : la compétitivité se joue aussi sur les bancs des écoles.

Alors que chaque rapport insiste sur la nécessité de choisir une logique, et de s’y tenir afin d’éviter le saupoudrage et le gaspillage ... le Gouvernement Français a décidé de tout faire ! Arrêtons nous ici sur les pôles de compétitivité. Il s’agit donc de l’inscription territoriale d’un partenariat d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques ou privées, destiné à dégager des synergies autour de projets communs au caractère innovant. La céramique en Limousin, l’optique en Essonne, les TIC en Bretagne ; l’Aéronautique- Spatial -Défense en Aquitaine ... la course à la labellisation et aux fonds publics est bien engagée et près de 60 pôles ont été retenus en 2005. Cette démarche peut-elle réussir ? Quatre éléments conduisent à en douter.

L’appel à projets a suscité des réponses d’une forte hétérogénéité. Le choix d’une optique territoriale a conduit à un formidable développement du patriotisme local, chacun voulant avoir son pôle de compétitivité, d’où des stratégies d’habillage autour de compétences supposées inscrites dans tel ou tel territoire. L ‘idée des pôles ayant été promue par la Datar, et la décision ayant été prise dans le cadre d’un CIADT, c’est cette administration peu équipée, peu dotée en compétences industrielles et en capacités d’expertise qui va devoir sélectionner les pôles. Certes, elle pourra faire appel à des compétences externes. Mais les compétences naguère concentrées au Ministère de l’Industrie ont fondu avec le temps et l’abandon des politiques industrielles. La modicité des moyens (750 Millions d’Euros sur 3 ans sous forme de subventions publiques d’exonérations fiscales et sociales dont la moitié à la charge d’établissement publics du type CdC ou BDPME) ne plaide pas non plus en faveur du projet. Enfin le risque de saupoudrage est d’autant plus sérieux que les grands élus vont exercer une pression forte sur une administration faible. La solution dans ce cas de figure est toujours le saupoudrage.

Que reste-t-il de la politique industrielle ? Dans une économie mondialisée et régionalement intégrée la politique industrielle change nécessairement de perspective et de référent territorial. Elle cesse d’être une politique de spécialisation nationale pour devenir une politique d’attractivité territoriale. De ce point de vue l’idée avancée par J.L.Beffa et retenue par le Gouvernement français d’une action délibérée sur la spécialisation grâce à un partenariat public-privé géré par une Agence d’Etat nous semble peu adapté.

Est ce à dire qu’il faut renoncer à toute action sur la spécialisation ? En fait tel n’est pas le cas car des politiques d’environnement compétitif visant à améliorer l’attractivité d’un site (infrastructures de recherche, incitations fiscales et réglementaires à l’innovation) peuvent de fait favoriser tel type d’activités plutôt que tel autre. La politique des pôles de compétitivité fondée sur les effets d’agglomération aurait toutes les chances de réussir si elle ne procédait de la volonté redistributive de l’Etat central et si elle ne suscitait d’insolubles problèmes de gouvernance.

Par ailleurs des politiques de concurrence peuvent avoir des effets structurants sur le tissu industriel : selon que la Commission européenne autorise ou pas les regroupements qui s’esquissent dans les services publics européens (transport ferroviaire et aérien, Telecom, énergie, eau), on pourra disposer ou non d’acteurs industriels globaux. De même des politiques de standardisation et de normalisation ou des politiques de promotion d’usages innovants comme avec le GSM ou la monétique peuvent avoir un effet industriel structurant. Enfin comme l’illustre le cas Airbus, des politiques commerciales stratégiques peuvent émerger même dans le contexte de l’OMC dès lors que le risque d’un monopole mondial se profile. En d’autres termes des politiques horizontales peuvent avoir des effets industriels structurants aussi décisifs que des politiques verticales encore faut-il qu’elles soient inspirées par des objectifs de compétitivité.

Ainsi la fin des politiques sectorielles ciblées n’aura pas été le dernier mot des politiques de promotion de l’activité industrielle.