Mobiles : le pari de la convergence

juin 2006

Sale temps pour les opérateurs mobiles : la provision pour dépréciation d’actifs de 30 milliards d’euros passée par Vodafone dans ses comptes vient leur rappeler qu’ils n’en ont pas fini de régler la facture de la bulle de l’Umts. Comme si une mauvaise nouvelle chassait l’autre les opérateurs découvrent simultanément les effets sur leurs revenus de la maturation de leur industrie, de l’intensification de la pression exercée par les régulateurs et de la multiplication des concurrents. Pour achever de les déprimer voilà qu’on annonce l’arrivée de la voix sur IP mobile et donc à terme la destruction de leur modèle économique. Pourra t on à l’avenir faire payer au consommateur la prime de mobilité qu’il accepte de payer aujourd’hui alors que la communication par internet (VoIP) relayée par la wifi sera gratuite.

Comment peut se réinventer une industrie qui, en 10 ans, a bouleversé nos modes de vie, suscité l’exubérance irrationnelle des marchés lors de la bulle de l’Internet et tourné la tête aux fiscs nationaux à l’occasion de l’octroi des licences UMTS ?
Pour répondre à ces questions, il convient d’abord de prendre la mesure des dynamiques du secteur.

Les opérateurs subissent brutalement la fin de la croissance de leur chiffre d’affaires. Ce n’est pas la fin de la croissance physique de l’activité puisque les taux de pénétration continuent à monter et la consommation en minutes de trafic aussi. On enregistre même dès à présent des taux de pénétration supérieurs à 100% dans certains pays. Mais sous l’effet combiné d’une pression concurrentielle plus intense avec la multiplication des opérateurs virtuels (les MVNO’s) et d’une intervention plus intrusive des régulateurs, les chiffres d’affaires stagnent. En 2006, en France, une croissance en volume de 7-8% se traduira par une croissance en valeur de 1-2%.

Alors que les revenus stagnent, les coûts d’exploitation augmentent. D’une part, la pression publicitaire et l’appétit des distributeurs augmentent dans un univers de produits de grande consommation où les solutions « low cost » se multiplient. D’autre part les coûts d’acquisition et de fidélisation des clients s’envolent tant la rotation des clients est forte et tant les subventions consenties sur des terminaux sophistiqués se révèlent coûteuses.
Enfin les opérateurs mobiles doivent faire face à une montée de leurs coûts d’investissements. Ils doivent bâtir et faire évoluer les réseaux, déployer de nouvelles plateformes de services et pousser les feux de leurs investissements en systèmes d’information. Le sort de la quatrième licence Umts en France restée orpheline illustre bien l’état du secteur : nul nouvel entrant ne veut investir dans un quatrième réseau quant les barrières à l’entrée pour les offres de services sont abaissées par le régulateur et que l’accès au réseau est garanti.

Pour les opérateurs mobiles, l’heure des choix a sonné, d’autant que la perspective, maintenant prochaine, de la voix sur IP mobile est porteuse de destruction du modèle d’affaires du secteur.
Trois stratégies s’offrent aux opérateurs : la commoditisation, le « pur » multimedia mobile, la convergence.

La stratégie de la commoditisation consiste pour les opérateurs à se spécialiser dans l’offre de services de réseau en mettant à disposition des prestataires de contenu une infrastructure de diffusion. Lorsque Tmobile adopte Google pour sa page d’accueil ou que Msn s’installe pour la messagerie ou qu’enfin la TV est affermée à TF1 alors l’opérateur mobile est un pur pourvoyeur de tuyaux. Ce modèle n’est toutefois pas soutenable du fait de la profusion des offres de réseau. (Wifi, Wimax, ...). A terme, le pourvoyeur de tuyaux est condamné à un rôle résiduel
.
La stratégie du multimédia mobile est incarnée par Vodafone. Elargir l’empreinte géographique au monde, parier sur les hauts débits permis par l’umts, offrir de la musique de la TV et du bureau mobile : tels étaient les ingrédients de cette stratégie longtemps gagnante et donc imitée. Aujourd’hui Vodafone souffre sur différents marchés nationaux et sa présence globale ne lui est pas d’un grand secours.

Entre temps en effet une stratégie alternative s’est dessinée celle du « quadruple play » ou de la convergence (TV, Internet, Voix fixe, Mobile). L’opérateur de la convergence a cet avantage particulier de pouvoir décliner les mêmes contenus sur plusieurs supports, il assure la continuité du service en résidentiel et en mobilité, il rend transparent pour le consommateur le choix du réseau. En termes de modèle économique il est le mieux placé pour fidéliser le client, forfaitiser sa contribution, élever sa consommation individuelle . Pour l’opérateur de la convergence, c’est toutefois une triple reconversion qu’il doit réaliser : technique avec le passage au tout IP, économique avec des offres groupées (des« bundles ») et des offres d’abondance, professionnelle, avec l’entrée dans le monde des média.

Que conclure ?. A ce stade, on peut déjà annoncer la fin de la croissance extensive. Des opérateurs comme Orascom ou China Telecom peuvent encore faire de la croissance extensive profitable, ce n’est plus le cas dans la vielle Europe. Ceux des opérateurs qui ont cru à un modèle de « pure play mobile » ou à une stratégie de commoditisation sont en passe de perdre la partie. Reste le pari de la convergence. La stratégie paraît adaptée aux contraintes du secteur, mais la preuve reste à faire : la viabilité du modèle suppose une mue complète des opérateurs de télécommunications.


Voir en ligne : Le Nouvel économiste